Après près d’un mois d’arrêt à Ulaan Baatar, nous repartons le 26 septembre heureux de remonter sur nos selles. Faux départ ce jour-là … Nous nous arrêtons au bureau de l’immigration pour récupérer nos passeports avec un mois d’extension de visa. Attiré par nos montures, un couple radieux vient à notre rencontre, nous saluant d’emblée en français : Eric & Christine pédalent le monde depuis 3 ans et sont bien sûr interpellés de nous voir. Quand deux couples de cyclistes se rencontrent, les questions fusent dans tous les sens. Résultat des courses, nous ne partirons que le lendemain …
Pour traverser le désert du Gobi, la consigne est claire : tenir un cap sud-est en restant entre la ligne électrique principale et la voie de chemin de fer. Sur cette base, choisir LA trace de véhicule qui nous semble la principale … Bienque la carte nous indique une route tracée, nous savons que sur les 650 km qui nous séparent de la frontière avec la Chine, 450 sont faits de sable, de terre, de pierres et de gravier. Le désert est habité par les nomades et nous pouvons compter en moyenne 110 km entre les bourgades où nous pourrons nous ravitailler. Malgré tout, en grands gourmets que nous sommes, nous choisissons de partir avec les ingrédients de notre menu favori : des pâtes, du sésame, des tomates et des concombres frais, de quoi pique-niquer et une réserve de lait pour prendre des délicieux déjeuners cacaotés. Dès les premiers mètres, nous sentons bien qu’une fois de plus notre poids sera un handicap … Mais nous avons aussi appris à nous habituer à tout !!! Plus que prévoyants et n’ayant plus la possibilité de faire du feu, nous prenons avec nous 7 litres de fuel pour faire fonctionner notre réchaud.
Plus que toute autre étape dans notre voyage, celle nous Gobi nous amène à nous poser beaucoup de questions. Grâce aux rencontres et à Internet, nous y trouvons des réponses plus que rassurantes. Avec Eric & Christine qui terminent fraîchement la traversée, nous obtenons certainement les informations les plus objectives : rien à craindre quant aux possibilités de ravitaillement en eau et en nourriture, mais malgré tout cette étape est dure, en raison des conditions de la piste, de la sécheresse et du vent. Nous sommes fin prêts à dévoiler le mystère que l’étape du désert de Gobi fait planer dans nos esprits depuis quelque temps …
Dès les premiers mètres de piste, nous saisissons que notre moyenne journalière sera largement revue à la baisse, contraints non seulement par la mauvaise qualité de la piste mais aussi par les journées qui s’écourtent de plus en plus. C’est un plaisir intense de nous arrêter à temps, vers 16 heures 30 pour monter notre campement, préparer notre repas et profiter des sublimes couchers de soleil. Encore plus que la Sibérie, la Mongolie nous ouvre son terrain de camping géant. Et une fois de plus notre sentiment de liberté est exacerbé …
La journée, le soleil donne mais le vent souffle constamment et rafraîchit l’air ce qui rend le temps agréable pour traverser cette région. Nous savons que l’hiver est à nos trousses : il a déjà neigé à Ulaan Baatar … Afin de ne pas nous faire surprendre par la rudesse du climat, nous nous imposons un rythme et parvenons pour la première fois depuis le début du voyage à démarrer chaque matin à 9 heures au plus tard.
Nous avons passé 19 jours intenses dans le désert, 19 jours de découverte et de révélation. Pour nous, le Gobi est la région de la Mongolie la plus dépaysante. A tout moment nous étions sous le charme de la beauté du désert, des paysages immenses, minéraux, colorés, et fascinants. C’est aussi l’étape du voyage où nous avons rencontré le moins de monde. Il reste des yourtes mais on voit que beaucoup de nomades ont déjà bougé vers un campement moins rude pour y passer l’hiver. On trouve encore sur les bords de piste de nombreux troupeaux de chevaux ou de chameaux. Un midi pendant que nous pique-niquons, un nomade à moto s’arrête à nos côtés. Il sort sa paire de jumelles et nous explique qu’il cherche son troupeau de vaches. Nous ne voyons rien à l’horizon mais lui file dans une direction …
Aux deux tiers du parcours, nous décidons de faire un détour d’une trentaine de kilomètres pour voir des dunes. Le désert de Gobi n’est constitué qu’à 3 pourcents de sable ; il n’y a pas beaucoup de dunes, en être si proches (30 km dans le Gobi ce n’est tout de même pas rien !!!) est une aubaine à ne pas manquer. Elles ne sont pas indiquées sur notre carte, nous n’avons pas non plus de point GPS, juste quelques vagues explications sur le chemin à prendre. Nous trouvons les dunes aisément et posons notre campement à leur pied ce qui nous permet d’aller nous promener dessus sans perdre la tente de vue. Loin des paysages sahariens, celui qui s’ouvre à nous nous enchante et nous restons une fois de plus subjugués du changement de paysage que nous pouvons observer chaque jour ; qui a dit que le désert est monotone ?
Le soir, un cavalier déboule dans le noir et à cru. Pour lui il fait trop froid et il nous propose de passer la nuit chez lui. Nous lui expliquons avec les mains que nous sommes bien équipés, qu’il est un peu tard pour démonter tout le matériel. Mais nous lui promettons de venir le voir demain matin chez lui. Le lendemain, comme promis nous allons à la rencontre du cavalier et de sa famille. Ils nous accueillent avec un thé salé au lait de chamelle, fade mais très efficace pour nous réchauffer. Le poêle au milieu de la yourte est en activité ; nous apprécions beaucoup de retrouver la chaleur du logis et de la famille qui nous accueille, et acceptons avec joie leur invitation à passer la journée et la nuit chez eux. 24 heures dans le quotidien d’une famille nomade dans le Gobi … Une vie rythmée, calmement en ce début d’hiver, par les travaux quotidiens liés aux bêtes et au foyer.
C’est la plus jeune sœur de 17 ans qui tient la maison, sa mère lui ayant déjà mis beaucoup de responsabilités entre les mains. Durant la journée, nous observons la mère préparer dans le poêle des pattes de chèvre : elle les brûle, puis retire le brûlé et ce plusieurs fois ; pendant ce temps, elle fait bouillir une tête de mouton. Ces préparations nous intriguent beaucoup … Soudainement, le père de famille apparaît, s’assied à même le sol et reçoit l’assiette contenant en vrac tous les abats qu’il déguste seul. Un rustre que nous ne verrons plus ; il habite seul dans une autre yourte à quelques mètres de là. Le repas de base quotidien est une soupe de nouilles faites « maison » avec des oignons et des bouts de gras. Elle peut être agrémentée de rondelles de carottes et de pommes de terre en fonction des disponibilités de ces ingrédients sur le marché local à plusieurs dizaines de km de là. Au petit matin, juste avant notre départ et pour nous honorer du temps que nous avons passé avec eux, la mère de famille nous sert une patte de chèvre et un morceau de mâchoire de mouton ; sous le regard pesant de 6 paires d’yeux posées sur nous, nous nous sentons peu habiles à décortiquer ces mets de choix … La soupe de farine bouillie qui suivra nous remplira plus les estomacs !!!
Au terme des 450 km de piste, nous faisons un bilan plutôt positif. On a poussé nos vélos dans quelques bancs de sable mais jamais plus que quelques mètres. Il nous est arrivé de bien rouler, mais de nombreuses fois, la piste s’est transformée en tôle ondulée, très mauvaise pour nos petits corps et surtout les vélos. Nous ne nous sommes jamais perdus même si parfois nous trouvions la piste principale au petit bonheur la chance. Nous n’avons crevé qu’une seule fois mais on a mis l’après-midi à poser une vingtaine de rustines pour réparer nos pneus. La raison : de terribles petites boules piquantes qui jonchent la piste et s’en prennent aux roues de nos remorques, les plus vulnérables.
Une soir où nous sommes arrêtés dans un village, logés au chaud pour profiter d’une douche bien nécessaire, nous rencontrons une équipe d’ingénieurs chinois engagés sur le projet de construction d’une route bitumée qui remplacera d’ici maximum 2 ans la piste que nous suivons. Nous nous sentons alors privilégiés d’être parmi les derniers voyageurs à emprunter cet axe principal vers la Chine en foulant la terre battue du Gobi.
Nous passons notre dernière journée de piste avant Zamyn Uud, ville frontière avec la Chine, en compagnie de Sorouche et Damien, 2 canadiens parcourant Moscou-Pékin à vélo. Quand les 2 compères nous rattrapent, nous les trouvons bien fatigués : cela fait seulement un peu plus de 2 mois qu’ils ont quitté Moscou !!! Quand ils nous rattrapent, ils n’ont plus d’eau et leur matériel est fortement éprouvé par le rythme infernal qu’ils se sont imposés. Le soir de notre rencontre, nous leur proposons de partager notre repas et de pédaler les quelques km qui les séparent de la frontière à notre rythme. Cerise sur le gâteau, nous leur faisons écouter quelques airs de chez eux …
La sensation qui nous emplit à la fin de la traversée du désert de Gobi est double, d’une part la joie d’avoir parcouru cette piste avec succès et d’avoir profité pleinement de ces fabuleux paysages, d’autre part l’excitation de nous retrouver si proches de la Chine et de tous ses mystères, de cet inconnu majeur fortement noirci par tous les préjugés qui ont pu être émis sur cette contrée. Avant d’entamer cette quatrième étape du voyage (après l’Europe, la Russie et la Mongolie), nous nous offrons 2 belles journée de repos à Zamyn Uud, temps nécessaire pour remettre les vélos en état, nous bichonner un peu et faire quelques provisions car nous savons que sur les 125 prochains km nous n’auront pas de possibilité de ravitaillement.
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